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Mes familles Charentaises  Gentet-Barreau & Couraud-Bertrand

A Marseille en 1940, il rencontre une américaine "Mary Jayne Gold" . de Varian Fry Institute
Elle le surnomme "Killer dans son livre "Marseille Année 40" . voici la post face du livre.

Mary Jayne Gold est décédée le dimanche 5 octobre 1997, à l’âge de quatre-vingt-huit ans, dans sa merveilleuse «villa Air-Bel» à Gassin, sur la Côte d’Azur.

Marseille année 40
par Mary Jayne Gold
Éditions Phébus, 2001

Postface par Pierre Sauvage.

Elle souffrait de ce qu’on a longtemps appelé une longue maladie, mais sa dernière nuit avait été calme. Hélène Sognier, qui s’occupait si bien d’elle et de la maison depuis vingt ans, lui tenait la main lorsque «Miss Gold» passa à l’étape suivante de son existence : Mary Jayne croyait à la réincarnation. Mon amie avait également un somptueux appartement à New York, mais c’est bien délibérément qu’elle avait choisi cette année-là de ne pas passer l’hiver aux États-Unis, contrairement à son habitude. Elle préférait se faire soigner et mourir en France.

Comme tout le monde, j’ignorais tout de Mary Jayne Gold lorsque, au début des années quatre-vingt, dans une boutique de livres d’occasion à Los Angeles, où je vis, je tombai par hasard sur un exemplaire de son livre, déjà rarissime. Je travaillais alors sur une autre histoire de sauvetage, celle qui notamment avait permis ma naissance au Chambon-sur-Lignon en 1944. C’est à Marseille, où mes parents habitaient, que j’avais été conçu, Léo et Barbara Sauvage comptant parmi la vague des réfugiés venus de Paris – et d’ailleurs! Comment ne pas sauter sur ce livre? Comment ne pas être émerveillé par cette histoire?

C’était l’hiver; je retrouvai sans difficulté Mary Jayne Gold dans le bottin de New York, et contact fut pris. Je découvris qu’elle avait connu mes parents non pas à Marseille, mais plus tard à New York, par l’intermédiaire de notre amie commune, Reine Dorian, elle aussi «ancienne» de Marseille en 40. J’ose croire que rarement atomes furent à ce point crochus, car ce fut le début d’une profonde amitié, qui encore aujourd’hui commande à mes priorités professionnelles. Un jour, Mary Jayne me dédicaça son livre, et la dédicace n’a jamais cessé de me flatter et de me toucher : «Pour Pierre, qui comprend tout cela.»

Ce qui était le plus facile à comprendre, c’est que dans la longue vie de Mary Jayne Gold, souvent oisive et sans doute trop subventionnée par sa fortune, l’année passée à Marseille en 1940-1941 était assurément la seule qui eût vraiment compté pour elle. Mary Jayne ne s’était jamais mariée, préférant meubler son célibat d’une suite de caniches. Elle aimait dire que Killer avait été son war work – sa «contribution à la guerre». Peu avant sa mort, elle me confia que ses dernières pensées seraient pour lui, et qu’elle ne doutait pas que vingt ans plus tôt, au moment de mourir dans sa maison de Cornouailles, en Angleterre, la jeune frappe qui lui devait la vie avait pensé à elle.

Le fils de Killer, Raymond Couraud lui aussi, n’a guère de doute là-dessus : Mary Jayne, la seule femme à avoir compris, à avoir pu aider son père – la seule femme qui en même temps lui résistait – était bien restée jusqu’à la fin le grand amour de sa vie. «Elle seule était arrivée à le dompter, serais-je tenté de dire, m’expliqua-t-il récemment, même s’il lui en a fait voir des vertes et des pas mûres.» Quant à Varian Fry, l’amitié et le respect qu’il inspirait à Mary Jayne n’avaient jamais faibli, mais elle se plaisait à dire que, depuis qu’il était devenu un «juste» pour l’État d’Israël, elle n’avait plus besoin de se soucier de son immortalité et pouvait plus égoïstement se préoccuper de la sienne.

Si j’avais accédé au rang d’ami, si ma famille et moi étions toujours les bienvenus à Gassin, il est certain que j’avais également des responsabilités à assumer : faire publier ou republier ses livres, tirer un «grand» film – pas trop fidèle – de son aventure, léguer à mon tour dans un documentaire (c’est plus ou moins mon métier) quelques détails importants de ce qui s’était passé à Marseille en 1940-1941.

Pas plus que celui de Varian Fry en 1945 (traduction française : La Liste noire, Plon, Paris, 1999), le livre de Mary Jayne, patronné pourtant à la maison d’édition américaine par Jacqueline Kennedy Onassis, n’avait rencontré le succès. L’Amérique avait toujours du mal – a encore du mal – à cerner son rôle dans le massacre des Juifs. Personne en 1980 n’était prêt à s’intéresser à cette histoire. Comment même imaginer que des Américains aient pu être aux premiers rangs dans le sauvetage des Juifs et des antinazis?

Malgré l’échec de Crossroads Marseilles 1940, Mary Jayne avait pris goût aux mémoires, et décida de remonter plus loin en arrière. Si l’on trouve quelques bribes de souvenirs d’enfance dans ce premier volume, le second, encore inédit, leur est entièrement consacré.

Plus elle vieillissait, mieux Mary Jayne réussissait à se souvenir non seulement des menus événements de sa jeunesse, mais encore et surtout de la façon que l’enfant qu’elle fut les avait ressentis. Oh, You Must Not Peek Under My Sunbonnet («Oh, ne cherchez pas à regarder sous ma capeline!»), ainsi s’appelait un livre d’enfant qu’elle n’avait pas oublié, et tel est le titre espiègle que Mary Jayne donna aux mémoires de ses dix-neuf premières années de vie, aussi dorées qu’elles furent troubles sur le plan affectif et sexuel : elles engendrèrent, écrit-elle, des fantasmes sadomasochistes qui eurent un effet corrosif sur sa vie.

Malgré son âge – et la différence d’âge qui nous séparait –, Mary Jayne n’hésitait pas à évoquer avec moi des détails intimes de sa vie, et tout ce qui était d’ordre psychologique la passionnait. A un moment donné, après Marseille, elle avait même commencé des études dans cette discipline avec l’idée d’en faire peut-être une carrière et de se spécialiser en psychologie criminelle, pour laquelle elle se soupçonnait mystérieusement douée. Mais il y avait un sujet qui n’a jamais cessé de la mettre mal à l’aise : l’argent.

J’eus l’occasion récemment de visiter Marigold Lodge, dans le Michigan, la maison de vacances construite au bord du lac par le père de Mary Jayne, et qui a été préservée par ses propriétaires actuels dans le style opulent voulu par l’inventeur Egbert Gold en 1913. Voyant cette extraordinaire demeure et inventoriant les photos d’enfance destinées à illustrer son second volume de mémoires, je commence seulement à comprendre le rôle déterminant que l’argent a dû jouer dans la vie de l’héritière.

 

Si j’ai un grand regret vis-à-vis de Mary Jayne, c’est que je ne pourrai pas l’inviter à la première de la «fiction» qui sera tirée de son livre. L’idée d’un film l’enchantait, et nous avons longuement discuté sur la façon de créer ce nouveau Casablanca. Ce n’est pourtant pas elle mais son amie Miriam Davenport Ebel qui se souvenait de la sortie du film de la Warner en 1942 et du coup de fil qu’elle avait donné à son amie : «Allons au cinéma. Il y a un film qui vient de sortir qui raconte un peu notre histoire!»

Dans la version mijotée avec Mary Jayne, c’est Killer, le Humphrey Bogart de l’histoire. Killer avait attendu de quitter Marseille pour devenir un héros? Qu’à cela ne tienne : pour le film, il fallait qu’il le devînt sur place, en participant à la dernière minute à l’opération Fry! (Dans la réalité, Fry détestait Killer, source pour lui de tracas. C’est à tort que certains ont imaginé une pointe de jalousie; contrairement à ses collègues masculins, presque tous plutôt portés sur «la chose», Varian avait, comme on dit si mal en français, d’autres chats à fouetter.)

Une récente biographie de Fry (American Pimpernel : The Story of Varian Fry, par Andy Marino, Hutchinson, Londres et St. Martin’s Press, New York, 1999) a bien tort de mettre en doute que Killer ait été bel et bien un déserteur de la Légion étrangère et de se montrer sceptique sur sa singulière mais véritable carrière militaire. Influencé par le «chauvinisme mâle» dont ni Fry ni Daniel Bénédite n’auraient été exempts selon Mary Jayne et Miriam, l’auteur se permet aussi d’évoquer Mary Jayne Gold comme une blonde un peu écervelée – ce qu’elle ne fut nullement. Dans une lettre à sa première femme en septembre 1941, Fry avait noté : «Mary Jayne s’intéresse plus à notre travail que quiconque.»

Lorsque je réunis Mary Jayne et Miriam pour le tournage de mon futur long métrage documentaire sur Varian Fry à Marseille, Miriam n’hésita pas à taquiner un peu Mary Jayne en se signant ironiquement à l’évocation du nom de Killer et en disant qu’elle regrettait d’avoir présenté celui-ci à Mary Jayne, car Killer avait été la source de beaucoup d’ennuis pour son amie. Mary Jayne sursauta : «Ce type a fait plus pour gagner la guerre et te permettre d’ouvrir ta grande gueule que toutes ces vedettes que nous avons connues!»

Selon le colonel Roger Flamand, auteur d’un opuscule sur Raymond Couraud publié à compte d’auteur (21360 La Bussière, 1983) et appelé L’«Inconnu» du French Squadron, celui-ci avait été un peu partout à la pointe des combats, devenant finalement en Angleterre, selon Flamand, «Squadron Leader dans les forces de Sa Majesté, intime des plus riches et plus influentes familles de l’aristocratie britannique». Subsiste toutefois dans la carrière militaire de Couraud un mystère : son renvoi de l’armée britannique.

Si je suis arrivé trop tard pour rencontrer Killer ou Varian Fry, j’ai adopté un peu comme une nouvelle famille les figures remarquables et bientôt légendaires que j’ai ou que j’ai eu la chance d’avoir dans ma vie à la suite de ma rencontre avec Mary Jayne (parmi elles, il y a des personnes que ce récit autobiographique mentionne peu ou pas du tout). L’auteur voulait que son lecteur sache un peu ce que «ses personnages» à elle étaient devenus dans leurs «vraies vies» – après Marseille.

Deux ans après la mort de Mary Jayne, j’assistai à l’enterrement de Miriam Davenport Ebel, devenue notre amie commune au fil des années, et qui choisit de reposer dans un très beau cimetière longeant les champs de maïs de l’Iowa, au cœur de l’Amérique. De retour aux États-Unis en 1941, Miriam eut bientôt divorcé d’avec Rudolf, l’amoureux yougoslave pour lequel elle avait quitté Marseille, et les deux mariages heureux qui succédèrent au premier ne l’empêchèrent nullement d’assumer des responsabilités intéressantes au service de causes qui lui paraissaient importantes. Elle obtint également un doctorat en littérature française, se spécialisant dans Crébillon fils, et écrivit de brefs mémoires inédits sur cette époque, qui témoignent de sa perspicacité et de sa mémoire très précise, sinon de l’humour et de la vivacité qui ne lui faisaient jamais défaut.

Pendant toute sa vie, Charles Fernley Fawcett, dont la présence au Centre américain de secours fut si rassurante pour les réfugiés, est demeuré une sorte d’aventurier moral. Descendant, comme Mary Jayne et comme Miriam, d’une très vieille famille américaine (la sienne, du Sud, a compté trois présidents, et non des moindres), catcheur, légionnaire, ambulancier, vedette de cinéma, figure de la haute société, joueur de trompette, compositeur, artiste, amateur de femmes, Charlie à intervalles réguliers abandonnait sa vie «normale» pour aider les mouvements de résistance en Afghanistan et ailleurs. Ce que ni Varian Fry ni Mary Jayne ne surent à Marseille, c’est que Charlie dans ses moments libres y a également «épousé» une demi-douzaine de femmes dans une suite de mariages bigames afin d’aider ces personnes à sortir des camps d’internement ou à s’échapper d’Europe (à un moment donné, deux Mme Fawcett arrivèrent en même temps à Lisbonne!).

Charlie ne manque jamais d’insister sur le fait qu’il était un simple petit rouage dans l’opération ni de rappeler notamment le souvenir de son mystérieux compatriote Leon Ball, un copain dont le rôle au début des activités du Comité s’estompe dans les mémoires du fait que Ball disparut un beau jour, rompant tout contact avec ses anciens amis de Marseille. (Ball habitait en France, où il vendait du lard. Est-il encore parmi nous? A t-il laissé une famille ou des amis qui ignorent tout de ses exploits? Comme j’aimerais connaître les réponses à ces questions!)

Dernier complice parmi les Américains de Marseille : le vice-consul Hiram Bingham IV, que Fry appela dans une dédicace son «compagnon d’armes». Bingham dut bientôt quitter le corps diplomatique, ayant par la suite, comme bien d’autres «justes» parmi les diplomates, une vie professionnelle sans éclat et parfois un peu difficile.

Comme tout le monde, Mary Jayne admirait la brillante carrière du grand économiste et penseur social Albert O. Hirschman, célébrité du prestigieux Center for Advanced Studies de l’université de Princeton, et auteur de nombreuses études fort respectées. Réfugié juif allemand et socialiste en France dès 1933, Hirschman évoque dans son recueil Un certain penchant à l’autosubversion (Fayard, Paris, 1995) les mois passés à Marseille en tant qu’«Albert Hermant» ou «Beamish», associé indispensable de Fry qui notamment choisit Mary Jayne pour la mission délicate au Vernet.

J’ai récemment rendu une nouvelle visite à Chicago à Lisa Fittko, dont le jugement pénétrant sur l’expérience des réfugiés en France a été livré dans un ouvrage remarquable, Le Chemin des Pyrénées : Souvenirs 1940-1941 (Maren Sell & Cie, Paris, 1987). Sans vouloir minimiser l’importance de son mari Hans dans l’impeccable filière d’évasion qu’ils montèrent à la frontière espagnole, il faut toujours se rappeler, quand on évalue les témoignages de cette époque, à quel point le rôle des hommes est automatiquement surestimé. Pourtant dans les actions de sauvetage de cette période ce sont bien souvent les femmes qui prirent les décisions capitales. C’est certainement Lisa Fittko que j’appellerai en premier si j’ai soudain besoin de conseils pour échapper encore une fois à je ne sais quelle nouvelle menace totalitaire!

Je rencontrai en une occasion Daniel Bénédite, le vieil ami de Mary Jayne, impressionnant par une intelligence qui s’exprimait volontiers dans des jugements péremptoires. (On reste un peu perplexe sur la grande amitié que Fry et lui réussirent à nouer à Marseille, car Fry lui aussi avait le jugement prompt.) Après Marseille, Bénédite fit «une belle Résistance», suivant la formule que Mary Jayne affectionnait, devint administrateur du quotidien Franc-Tireur, puis travailla par la suite dans le syndicalisme et l’édition. Bénédite et son épouse Theo, également décédée, avaient divorcé après la guerre, et tous deux s’étaient remariés peu de temps après. Leur fils Pierre Ungemach, l’ancien «Peterkin», devint géologue.

En 1984, Bénédite publia ses mémoires sur la mission Fry, La Filière marseillaise (Clancier-Guénaud, Paris, 1984), qui contenait une évocation généreuse de Mary Jayne Gold, assaisonnée toutefois d’un zeste de ce marxisme qu’il avait cherché en vain à enseigner à son amie dans leur jeunesse :

De deux ans mon aînée, grande, jolie, blonde, intelligente et riche, «Naynee» avait tout pour elle; on pouvait se demander quand on la connaissait ce qui l’emportait chez elle, de la beauté, de la gentillesse ou de la générosité. Elle disposait de sa fortune avec prodigalité et presque toujours à bon escient, comme si elle voulait se la faire pardonner (elle fit même, au début des hostilités, don de son avion de tourisme personnel au gouvernement français).

Préfaçant le second volume, encore inédit, des mémoires de son camarade Bénédite, Gemähling évoqua pour sa part sa première rencontre avec Mary Jayne :

En route pour Marseille, où j’espère trouver une voie pour rejoindre de Gaulle, je m’arrête une nuit chez les Bénédite.

– A Marseille, me dit Danny, va donc voir une chère amie à moi, Mary Jayne Gold. Elle est américaine et m’écrit qu’elle est en rapport avec un de ses compatriotes venu à Marseille, où il fait des choses intéressantes. D’ailleurs, ajoute-t-il, je ne tarderai pas à y aller aussi.

Grippée, Mary Jayne me reçoit dans sa chambre d’hôtel avec l’amitié qu’on réserve aux amis des amis et la cordialité qui lui est naturelle.

– Varian Fry, me dit-elle, s’occupe de faire émigrer aux États-Unis des intellectuels, des artistes, antinazis, réfugiés en France. Peut-être a-t-il des tuyaux pour vous aider à gagner Londres. (…)

L’activité du Centre américain de secours, sans me faire renoncer tout de suite à mon idée de rejoindre l’armée de la France libre, me montra qu’il y avait de quoi s’occuper utilement sur le territoire métropolitain, ce qui n’avait pas encore été au centre de mes préoccupations.

Mary Jayne avait beau ne plus voir beaucoup Jean Gemähling, elle lui était restée très attachée, n’ayant jamais oublié la délicatesse dont il fit preuve à Marseille lorsque sa liaison avec Killer avait jeté un froid dans les relations entre elle et les autres membres du Comité. Rejoignant bientôt la Résistance, Gemähling devint un des chefs du mouvement Combat, puis Compagnon de la Libération. Scientifique de formation, il eut notamment une carrière d’ingénieur expert en questions nucléaires. M. Gemähling demeure un témoin important, modeste et précis, sur tout ce qui concerne cette période.

Le Dr Marcel Verzeano, alors «Maurice Rivière», rejoignit l’armée américaine après son arrivée aux États-Unis, et participa notamment et valeureusement à la campagne italienne. Se consacrant par la suite à la recherche médicale, l’ancien associé de Fry pour les opérations secrètes et les filières d’évasion se spécialisa en Californie dans la physiologie du cerveau. S’il y eut à Marseille des complications dans les rapports entre «Maurice» et certains de ses collègues, il demeure une source de bons conseils pour ses amis en proie à des problèmes médicaux et reçut le dernier coup de fil de Varian la veille de la mort de ce dernier.

Justus Rosenberg, que je suis un des derniers à appeler Gussie, ne réussit pas à quitter l’Europe occupée. Jeune Juif allemand de Dantzig, il rejoignit le maquis, contribuant au débarquement allié en Provence, et fut lui aussi honoré pour ses exploits militaires. Ayant émigré aux États-Unis après la guerre, il y occupe depuis une chaire de littérature comparée et a entrepris, lui aussi, la rédaction de mémoires, fort prometteurs. On y verra sans doute, entre autres illustrations, cette photo où il arpente la Canebière dans le complet élégant commandé pour lui par «Mathieu», le patron de Killer, que Gussie fréquenta avec Mary Jayne.

Ni Mary Jayne, ni l’équipe de Marseille, ni la famille de Raymond Couraud n’ont pu établir le nom de famille de Mathieu ni indiquer ce qui lui est arrivé par la suite. Me Raoul Bottaï, qui le défendit avec une éloquence qui impressionna Mary Jayne, m’écrivit qu’il eut pour client un certain Mathieu Giudicelli, incarcéré pendant l’Occupation et mort dans un règlement de comptes tout de suite après la Libération. S’agit-il de notre Mathieu?

Après le départ de Fry, c’est Bénédite, Lucie Heymann, Anna Gruss, Paul et Valentine Schmierer et leurs collègues qui réussirent à poursuivre le travail du Centre, avec l’aide précieuse du jeune avocat marseillais Gaston Defferre. Sous l’égide de Charles Wolff et de Théo Bénédite, la villa Air-Bel fut transformée en centre d’accueil, parfaitement régulier, pour les réfugiés d’Alsace-Lorraine. Lorsque Vichy commença à livrer les Juifs pour les déportations vers Drancy et vers l’«Est», Paul Schmierer, dans une lettre adressée à des amis de New York, s’étonnait qu’il fût «tellement plus facile d’organiser l’émigration vers la mort que l’émigration vers la vie».

Parmi les déportés, il y eut Bil Spira, le faussaire du CAS alors connu sous le nom de Bill Freier, qui survécut et revint à Paris. Le brillant caricaturiste, dont l’œuvre déborde d’humour et d’acuité, satirise sûrement un peu maintenant tout le beau monde qu’il a retrouvé récemment dans l’au-delà, où le dévoué Charles Wolff l’attendait depuis longtemps. Entré lui aussi dans la Résistance, Wolff fut apparemment dénoncé par un camarade interrogé sous la torture et fut lui-même torturé à mort par la Milice; c’était le 14 août 1944, la veille du débarquement allié sur les côtes de Provence.

Quelle qu’ait pu être, à l’occasion, la désinvolture apparente de Mary Jayne Gold, comment ne pas mettre l’accent sur le fait qu’elle comprit ce que fort peu d’Américains – et trop peu de Français – ressentirent en 1940, surtout quand ils étaient issus de sa classe sociale huppée et plus ou moins antisémite : la civilisation, avec la montée du nazisme, se trouvait en péril. Pour elle, c’était «la fin du monde», comme elle le rappelle dans mon documentaire, évoquant avec un frisson l’entrée des troupes nazies à Paris.

 


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